Charles PEGUY
1873/1914
L’ ESPÉRANCE
La foi que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’ espérance.
La Foi ça ne m’étonne pas.
Ce n’est pas étonnant.
J’éclate tellement dans ma création.
La Charité, dit Dieu, ça ne m’étonne pas. Ça n’est pas étonnant.
Ces pauvres créatures sont si malheureuses qu’à moins d’avoir un cœur de pierre, comment n’auraient-elles point charité les unes des autres.
Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’ Espérance.
Et je n’en reviens pas.
L’ Espérance est une toute petite fille de rien du tout.
Qui est venue au monde le jour de Noël de l’année dernière.
C’est cette petite fille de rien du tout.
Elle seule, portant les autres, qui traversa les mondes révolus.
La Foi va de soi.
La Charité va malheureusement de soi.
Mais l’ Espérance ne va pas de soi. L’ Espérance ne va pas toute seule.
Pour espérer, mon enfant, il faut être bienheureux, il faut avoir obtenu,
reçu une grande grâce.
La Foi voit ce qui est.
La Charité aime ce qui est.
L’ Espérance voit ce qui n’est pas encore et qui sera.
Elle aime ce qui n’est pas encore et qui sera.
Sur le chemin montant, sablonneux, malaisé.
Sur la route montante.
Traînée, pendue aux bras de des grandes sœurs,
qui la tiennent par la main,
La petite espérance s’avance.
Et au milieu de ses deux grandes sœurs elle a l’air de se laisser traîner.
Comme une enfant qui n’aurait pas la force de marcher.
Et qu’on traînerait sur cette route malgré elle.
Et en réalité c’est elle qui fait marcher les deux autres.
Et qui les traîne, et qui fait marcher le monde.
Et qui le traîne.
Car on ne travaille jamais que pour les enfants.
Et les deux grandes ne marchent que pour la petite.
Extraits de : Le porche de la deuxième vertu.
merci ma petite Geneviève !
Sa mort :
Le 2 août 1914, la mobilisation générale contraint Péguy à interrompre sa Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne, un plaidoyer pour la défense de Bergson. Le 4 août, il prend le commandement d'une unité de réservistes à Colommiers et gagne la Lorraine. Après une courte campagne devant Metz, son régiment, le 276é R.I. se replie sur l'Aisne où l'armée française fait retraite. Le 5 septembre 1914 à Villeroy, près de Meaux, lors des premiers combats de la bataille de la Marne, l'unité du lieutenant Péguy entre en contact de l'ennemi qui avance alors sur Paris. Alors qu'il commande le tir, l'officier est tué d'une balle en plein front. Son corps est inhumé parmi ceux de ses compagnons d'armes dans le cimetière national de Chaucoin-Neufmontiers. |
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Heureux les grands vainqueurs. Paix aux hommes de guerre.
Qu'ils soient ensevelis dans un dernier silence. Que Dieu mette avec eux la juste balance Un peu de ce terreau d'ordure et de poussière.
Que Dieu mette avec eux dans le juste plateau Ce qu'ils ont tant aimé, quelques grammes de terre. Un peu de cette vigne, un peu de ce coteau, Un peu de ce ravin sauvage et solitaire.
Mère voici vos fils qui se sont tant battus. Vous les voyez couchés parmi les nations. Que Dieu ménage un peu ces êtres débattus, Ces c¿urs pleins de tristesse et d'hésitations.
Et voici le gibier traqué dans les battues, Les aigles abattus et les lièvres levés. Que Dieu ménage ces c¿urs tant éprouvés Ces torses déviés, ces nuques rebattues.
Que Dieu ménage un peu de ces êtres combattus, Qu'il rappelle sa grâce et sa miséricorde. Qu'il considère un peu de ce sac et cette corde Et ces poignets liés et ces reins courbatus.
Mère voici vos fils qui se sont tant battus. Qu'ils ne soient pas pesés comme Dieu pèse un ange. Que Dieu mette avec eux un peu de cette fange Qu'ils étaient en principe et sont redevenus.
Extrait de l'¿uvre poétique Eve,
publiée dans le Quatorzième cahier de la quinzième série,
le 28 décembre 1913. |
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